Le Songe de Nicolas Buffe

Thomas Golsenne

2007

Texte tiré du catalogue édité par les éditions Ereme à l’occasion de l’expositon personnelle Hypnerotomachies à Galerie Schirman & de Beaucé en 2007.

Ses admirateurs apprécient la virtuosité, la gaieté, la fantaisie de ses compositions. Ses détracteurs lui reprochent son goût pour le décoratif, un dessin trop virtuose, ses références à l’histoire de l’art ou à la culture populaire d’aujourd’hui, son manque de sobriété et de profondeur. Nicolas Buffe joue un jeu risqué dans l’art d’aujourd’hui : celui de plaire à un large public. La virtuosité, l’imagination et le plaisir – qualités propres à l’art de Buffe – ne sont plus tellement les valeurs primordiales qu’on enseigne dans les écoles d’art, qu’on lit chez les critiques ; ce sont des valeurs associées à un sous-goût « bourgeois », à un art « kitsch ». Or depuis Clement Greenberg dans les années 50, on sait que l’art d’avant-garde ne fait pas bon ménage avec le kitsch. Du moins « faisait » ; car la réaction des artistes face à une approche trop épurée, trop idéaliste de l’art ne s’est pas fait attendre. Mais il a fallu une impulsion extérieure : cela a été la peinture des rues, d’un côté, les bandes dessinées et les dessins animés de l’autre, qui ont produit le pop’art et ses dérivés postmodernistes. Il est clair que le travail de Nicolas Buffe fait partie de ces derniers. Un de ses grands modèles contemporains revendiqué est Wim Delvoye. Un des dessins de l’exposition montre un pingouin trônant sur une Boîte Campbell warholienne. Son utilisation experte du dessin – symbole de l’art académique – ses références à la culture classique, rappellent aussi le travail d’Ernest Pignon-Ernest. Son répertoire de figures issues de la culture pour la jeunesse : Walt Disney, Tex Avery, mangas, jeux vidéos, montre une volonté de maintenir une certaine « naïveté » du regard face au monde contemporain, et surtout face au monde de l’art savant. Nicolas Buffe a choisi, avec le sourire, le camp du profane. Est-ce à dire que son travail manque de profondeur et n’a d’intérêt qu’un formalisme outrancier ? Que, faute de regard « adulte » sur le monde, Nicolas Buffe n’a rien de sérieux à exprimer dans son oeuvre ? Celle-ci serait-elle simplement un agréable et comique passe-temps pour lui, un bel objet de décoration pour son public ? Aux yeux d’une certaine morale esthétique, celle qui confond sobriété formelle et profondeur du sens, le travail de Nicolas Buffe apparaît justement d’autant plus « immoral » qu’il manifeste sans ambages son ornementalité. Ses compositions se présentent généralement comme des « cartouches », ces motifs d’encadrement qui se sont développés à partir de la Renaissance et qui le plus souvent entouraient une devise, une allégorie ou un portrait. Et effectivement au centre de chaque pièce de Buffe se trouve une figure principale qui donne d’ailleurs son titre au tableau. Mais le cadre occupe une telle place dans la composition que la figure centrale semble presque noyée dans la profusion des marges. Le sujet de l’oeuvre ne se limite pas à la figure centrale : le sujet est tout autant dans le centre que dans le contour. Tout se passe donc comme si une pièce de Buffe se composait du tableau et de son cadre. Or, conventionnellement, le cadre vise seulement à mettre en valeur l’oeuvre centrale ; hiérarchiquement inférieur sur le plan du sens, il occupe les marges de l’attention du spectateur, tout entier concentré à admirer la pièce encadrée. Il est symboliquement inutile. Il peut même être nocif, s’il prend sur lui l’attention qui ne lui revient pas de droit. Kant dénonçait ainsi l’usage excessif des corniches dorées, qui nuisent à la correcte appréciation du tableau. Il reprenait de la sorte la vieille condamnation de l’idole dorée, du Veau d’or : brillante à l’extérieur, donnant tous les signes visibles de ce qui a du prix, l’idole est creuse, morte. L’ornement servait à l’idolâtrie ; il fut condamné par l’esthétique chrétienne, puis classique, puis moderniste, comme instrument d’illusion. Quand, à l’aube du XXe siècle, Adolf Loos lançait son fameux cri : « L’ornement est un crime ! », lui aussi héritait de ces siècles de critique morale de l’ornement. Et il affirmait, a contrario, le rapport nécessaire de l’oeuvre d’art et de la Vérité. Le modernisme, qui rejetait si fort la mimesis, principe qui avait guidé l’esthétique occidentale pendant quatre siècles, la portait en horreur car elle assimilait encore trop l’oeuvre d’art à une illusion trompeuse. De ce point de vue, on peut comprendre comment les avant gardes ont cherché à la fois à se débarrasser de tout geste mimétique et ont repoussé l’ornement comme leur pire ennemi : dans leur quête de la Vérité, elles percevaient l’ornement et la mimesis comme les deux formes du Mensonge artistique. L’art de Nicolas Buffe conjugue avec insouciance ces deux « défauts ». Ses images ne sont que des variations ornementales sur des thèmes apparemment pauvres de sens ; et son talent consiste à cueillir et à reproduire des motifs, des figures, des objets déjà donnés, dans le répertoire formel de la Renaissance, du XVIIe siècle, du dessin animé, de la bande dessinée ou du jeu vidéo. Talent de bricoleur, non de créateur. Talent d’artisan et de décorateur, non d’artiste. Talent d’imitateur, non d’inventeur. Certes, Nicolas Buffe est un bricoleur, un artisan, un imitateur, un décorateur. Mais ces termes ne sont péjoratifs que si l’on tient à l’image de l’artiste ami de la Vérité et de la morale, si l’on se fait de l’art une idée religieuse. Or il n’est d’art valable, disait Nietzsche, que celui qui porte le faux à sa plus grande puissance : non pas par amour du Mal (qui est encore une idée morale), mais par affirmation de notre besoin d’illusion pour vivre, pour connaître et pour inventer. Car la connaissance, selon Nietzsche, a besoin de l’illusion pour avancer : elle a besoin de croire qu’il y a dans le monde des phénomènes stables et ressemblants, qu’on peut comparer et donc analyser ; et cela c’est une illusion, puisque tout dans le monde change et se transforme : tout est devenir. Là où la morale chrétienne, la philosophie classique et l’esthétique moderniste prônent l’être, la stabilité et la Vérité, c’est-à-dire font référence à une idée de la Nature comme perfection incréée, le philosophe nietzschéen et l’artiste faussaire affirment que tout est artifice, tout est Culture, tout est créé. Rajoutons le bricoleur, l’artisan, l’imitateur et le décorateur. Car le bricoleur ne crée pas, mais réemploie des pièces qu’il a trouvées pour les recomposer en de nouveaux assemblages 1. L’artisan n’invente pas ex nihilo ses pièces, il part toujours d’une tradition d’atelier, il inscrit ses pièces dans une série de variations sur un modèle déjà fait. L’imitateur ne crée pas, comme Dieu seul le peut, des êtres entièrement nouveaux : il choisit le meilleur de ce qui existe déjà. Le décorateur ne prétend pas, comme l’Artiste (comme Cézanne en l’occurrence), « devoir la vérité » au spectateur, mais augmenter son sentiment de puissance, c’est-à-dire son amour de la vie. On comprend par là l’importance de la machine chez Buffe ; présente un peu partout sous forme d’engrenages, de robots, elle est explicite sous la forme du pantin (Pinocchio, ill. p.18) et dans le titre de Ex machina (ci contre et .19), grande composition d’engrenages faite pour le Musée des Arts et Métiers, en hommage aux machines qui sont honorées en ce lieu. C’est la machine du bricoleur, bien sûr, et de l’artiste du XXIe siècle. Mais aussi une métaphore classique de la peinture. Roger de Piles, en 1673, commentait ainsi l’expression « machine du tableau » : « Une machine est un juste assemblage de plusieurs pièces pour produire un même effet. Et la disposition dans un tableau n’est autre chose qu’un assemblage de plusieurs parties dont on doit prévoir l’accord et la justesse pour produire un bel effet ». La machine est enfin, sous son avatar masculin, le « machin » qui fonctionne mais dont le mécanisme reste caché. Et là aussi, cet effet avait son pendant dans l’esthétique classique : la grâce, nom donné dès la Renaissance au plus grand artifice possible, celui de cacher l’art ; qualité que Kleist plus tard attribuera aux marionnettes, comme Pinocchio – d’autant plus gracieuses qu’elles sont mécaniques. Nicolas Buffe, artiste mécanicien. Mais aussi héritier de la Renaissance, dont on connaît le goût pour les machines délirantes. Ce rapprochement n’est pas fortuit. Buffe est allé chercher à la Renaissance cet artificialisme, ce goût pour l’ornementalité qui servent d’assises, à la fois théorique et formelle, à son art. Pendant la Renaissance en effet, avant que la Réforme protestante et la Contre-Réforme catholique n’imposent leurs principes castrateurs et naturalistes aux artistes, on osait l’ornement et l’artifice sans fausse honte. C’est que l’on pensait alors toute création, même divine, en termes d’ornement : le monde, disait-on, est l’ornement de Dieu, kosmos. On ne pensait pas le tableau sans le lieu qu’il ornait, la fresque sans le mur qu’elle décorait : la voûte de la Chapelle sixtine était considérée comme le plus bel ornement du Vatican, voire de l’Italie. C’est que l’ornement avait l’insigne tâche de manifester une puissance. Plus la Renaissance avança, plus l’ornementation s’enrichit, par un effet de surenchère entre commanditaires et entre artistes. Mais le plus intéressant, c’est que l’ornementation était porteuse de nouveauté : alors que le centre de l’oeuvre était généralement occupée par une figure (religieuse le plus souvent) imposée par le commanditaire, la périphérie ornementale était laissée à la discrétion de l’artiste, du moment que son mécène en avait pour son argent. L’ornementation était le lieu où l’artiste pouvait laisser libre cours à sa créativité, à son sens de l’expérimentation, à sa curiosité et à son esprit d’invention. C’est ainsi que les formes à l’antique firent leur entrée, dans la peinture de la Renaissance, d’abord par des voies ornementales. L’un des aspects les plus caractéristiques de la peinture de la Renaissance est constitué par des motifs ornementaux à l’antique : les grotesques. Figures hybrides, animales, humaines, végétales, assemblées en d’improbables architectures, les grotesques ont couvert des kilomètres carrés de murs au XVIe et au XVIIe siècle, et remplissent les tableaux de Nicolas Buffe. Ces motifs n’ont pas été inventés par les artistes de la Renaissance, au sens courant : ils ont été inventés au sens archéologique, c’est-à dire découverts dans les sous-sols romains, dans des « grottes » en fait constituées par les pièces enterrées de la Maison dorée de Néron. L’invention ornementale la plus spectaculaire de la Renaissance est donc l’imitation d’une décoration romaine. Mais déjà celle-ci n’est composée que d’assemblages de figures déjà formées : un buste d’homme sur une feuille d’acanthe, une tête de bouc sur un corps humain, une sirène ou une harpie. Les grotesques relèvent donc d’une sorte de bricolage à l’antique. Un contemporain de Néron, Vitruve, ennemi de l’empereur et partisan d’une esthétique de la sobriété, voyait dans ces motifs à la mode le modèle de la mauvaise composition architecturale : On ne voit plus sur les murs que des monstres au lieu de ces représentations naturelles et vraies ; à la place des colonnes on met des roseaux ; les frontons sont remplacés par des espèces de harpons et coquilles striées avec des feuillages frisés et des volutes légères. On fait des candélabres soutenant de petits édifices du haut desquels s’élèvent, comme s’ils y avaient pris racine, de jeunes tiges à volutes portant sans raison de petites figures assises. On voit encore des tiges terminées par des fleurs d’où sortent des demi-figures, les unes avec des visages d’hommes, d’autres avec des têtes d’animaux. Or, ce sont là des choses qui n’existent pas, ne peuvent exister et n’existeront jamais. Mais ces nouveautés ont tellement prévalu que, par la passivité du jugement, les arts dépérissent. A la vue de ces faussetés, il n’y a pas un mot de blâme; on s’en amuse sans prendre garde si ce sont là des choses possibles ou non… Mais à la Renaissance, on interprétait les grotesques comme la manifestation éclatante de la « licence » de l’artiste, et on les revendiquait comme modèle positif de composition. C’est ainsi que Daniele Barbaro, dans le commentaire à sa traduction du texte de Vitruve (1556) se permettait d’écrire que les grotesques sont des « songes de peinture » : l’imagination, dans le rêve, forme des créatures similaires et de la même façon. Mais le meilleur éloge des grotesques n’est pas italien : c’est celui de Montaigne qui, dans un passage que Nicolas Buffe connaît bien, compare ses propres Essais à ces « peintures fantasques, n’ayant grâce qu’en la variété et étrangeté. Que sont-ce ici [dans ce livre] aussi, à la vérité, que grotesques et corps monstrueux, rapiécés de divers membres, sans certaine figure, n’ayant ordre, suite ni proportion que fortuite ? » (I, XXVIII). Cette comparaison vient à propos pour deux raisons principales. D’abord elle rend compte de l’usage intensif que Montaigne fait de la citation – texte trouvé, détaché et rattaché : Montaigne mesure son talent non pas à l’originalité de ses idées, mais à celle de ses citations ; il bricole, lui aussi, avec des textes. Ensuite elle témoigne de la structure même des Essais : un vaste ensemble ornemental destiné à encadrer l’hommage à l’ami disparu, La Boétie – hommage qui ne sera jamais publié. Louis Marin disait que les Essais sont comme un cadre vide, un ornement devenu lui-même l’oeuvre principale. L’invention artistique, à la Renaissance, est comme l’invention technique, la reproduction d’une observation, d’un motif, que la chance ou le hasard placent sous les yeux de l’inventeur. Ainsi a été découvert le chapiteau corinthien, selon une légende déjà rapportée par Vitruve : sur la tombe d’une jeune fille, sa nourrice avait posé une corbeille remplie des vases qu’elle affectionnait ; la corbeille était posée sur une racine d’acanthe qui, en poussant, la contourna en volutes. L’architecte Callimaque, qui passait par là, admira la belle rencontre du panier et de l’acanthe et en fit l’ornement principal des chapiteaux des colonnes de sa ville, Corinthe. Ainsi le plus grand inventeur de la Renaissance, Léonard de Vinci, se disait-il stimulé par l’observation des nuages ou des taches sur les murs, desquels se détachent par hasard des formes remarquables. C’est le hasard, le devenir, ou plutôt, comme on disait à l’époque, l’aveugle Fortune, qui guide le monde de la Renaissance. La beauté est rare dans la nature : elle résulte du hasard d’un rapport harmonieux entre deux corps. Il faut savoir la trouver, s’en donner l’occasion par une observation attentive et non dirigée ; être capable de la reproduire. Une oeuvre d’art de la Renaissance est toujours un corps composite, et le talent de l’artiste se mesure à sa science de la composition : assembler des fragments qui conviennent entre eux, établir des rapports entre des parties toujours plus nombreuses, toujours plus disparates. Le grand artiste n’est pas celui qui possède la plus fertile imagination, mais celui qui sait trouver des rapports de convenance inédits. A cet exercice, Nicolas Buffe est en voie de passer maître. Sa culture éclectique lui permet de combiner avec une apparente facilité les figures qu’il puise autour de lui ou dans ses souvenirs de jeunesse. Son art est une vaste combinatoire qui associe la « grande » culture de la Renaissance et la « sous » culture contemporaine. Quelques exemples : les sept planètes essentielles au savoir astrologique ancien combinées aux sept nains de Blanche-Neige (ill. p. 29). Entrons dans le détail : la figure du Soleil (ill. p. 29) (Joyeux) est réinterprétée comme un homme vitruvien à la Léonard de Vinci. Au-dessus de Jupiter (ill. p. 29) (Prof), un buste d’un homme habillé à la mode de François 1er porte des ailes d’ange ou de Victoire et des bras de robot ; en dessous de lui, à gauche, une autre figure d’ange porte une tête de Scoubidou. Saturne (ill. p. 29) (Timide) est une sorte de vase au milieu d’une table à laquelle un Droopy, le chien mélancolique, au corps d’homme, se tient et porte un toast ; plus loin, à droite et à gauche, un Dumbo au corps féminin et un Kaliméro guerrier forment des figures d’encadrement complémentaires, à la manière du Jour et de la Nuit de Michel-Ange. Dans Fulguroccasio, une pièce de 2005, la figure principale est le sex symbol de Tex Avery, affublée d’oreilles de lapin à la Playboy, et de la mèche de cheveux de l’allégorie antique de l’Occasion – qu’on saisit par les cheveux pendant qu’elle passe – et qui est véritablement emblématique de la démarche de Buffe : son travail, facilité par une insatiable curiosité, est de susciter et de multiplier les occasions d’extraire des motifs, de produire des trouvailles dans les associations entre les figures. Certaines figures sont plus difficiles à identifier. Je reconnais par exemple le Coyote de Tex Avery, la princesse Lamu du manga éponyme, Yoda, le maître jedi de la Guerre des Etoiles, Obélix et Panoramix, Oui-Oui le pantin, Peggy la cochonne, la Schtroumpfette, Astro le petit robot etc. Tout ce qu’un enfant de la génération de Buffe pouvait voir à la télévision ou au cinéma, lire dans les magazines et les bandes dessinées, nourrit son imagination et ses dessins. On pourrait ainsi établir – mais ce serait fastidieux – tout le répertoire iconographique des citations de Buffe. J’imagine en souriant par avance les historiens de l’art du futur qui chercheront avec tout leur sérieux universitaire à identifier ces innombrables figures en fouillant dans les vieux enregistrements de Récré A2, les antiques consoles de jeu Sega ou Nintendo ou les jouets Mattel, comme aujourd’hui ils fouillent dans les bibliothèques à la recherche d’incunables décorés d’images. Mieux vaut pour l’instant apprécier la référence à la Renaissance, aux grotesques, dans le travail de Nicolas Buffe, comme une justification historique de sa démarche. A la Renaissance, comme chez Buffe, on cite, on reprend, on imite, on mélange, on compose, sans se soucier de l’excès, de la pureté, de la simplicité. La démarche de Buffe est donc plus sérieuse qu’elle n’en a l’air ; mais elle relève du « jeu sérieux », si prisé à la Renaissance, qui conjugue l’invention, le plaisir et la connaissance. On a un peu perdu ce sens de la devinette allégorique, de la petite expérience métaphorique, du casse-tête tropologique par lesquels les lettrés de la Renaissance enseignaient des vérités difficiles d’accès. Un théologien mathématicien du XVe siècle, Nicolas de Cues, comparait ainsi le mystère divin à la toupie tournante : Dieu est au-delà des opposés logiques, il conjugue l’immobilité (l’axe de rotation) et le mouvement (le corps de la toupie). Nicolas de Cues avait ainsi inventé une doctrine, la « docte ignorance », une forme de sagesse négative consistant à comprendre que Dieu ne résidait pas dans le savoir humain. Et il avait aussi inventé un personnage théorique, le « profane », un simple fabricant de cuiller en bois, un artisan donc, qui par son savoir naïf était plus rapide que le plus savant des docteurs de la Sorbonne à accéder à la docte ignorance. Ses positions inspirèrent aussi bien l’Eloge de la folie d’Erasme que les romans « grotesques » de Rabelais. En Italie, elles n’étaient pas très éloignées de la pensée du philosophe prodige Pic de la Mirandole, qui théorisait, à la cour de Laurent le Magnifique, la conjonction des opposés et cherchait à conjuguer tous les domaines du savoir humain, de la théologie chrétienne à la philosophie grecque, en passant par la magie égyptienne, la kabbale juive et la science arabe. A cette littérature éclectique et joyeuse, on doit ajouter un roman devenu mythique, celui-là même que Buffe a choisi d’illustrer dans l’exposition: l’Hypnerotomachia Poliphili, le Songe de Poliphile. Tous les plaisirs de l’éclectisme, de l’invention de sources disparates, de jeux intellectuels, des devinettes et des images mystérieuses sont réunis dans ce livre lui-même mystérieux. Pour commencer il n’a pas d’auteur reconnu : il a été publié anonymement, en 1499, à Venise, aux presses du déjà célèbre Alde Manuce, le plus grand imprimeur de l’époque. Il réalisa dans cet ouvrage un véritable chef d’oeuvre, tant dans la mise en page, dans le choix des caractères d’imprimerie, à la romaine, dans les initiales ornées, la plupart du temps d’entrelacs labyrinthiques, figures du mystère, que dans la qualité et le nombre des gravures sur bois. Plus que des illustrations du texte, celles-ci font partie du livre, et elles seront toujours reprises dans les éditions postérieures. Un livre aussi riche, aussi érudit, aussi bien conçu devait forcément émaner d’un grand esprit du temps, et on l’a attribué parfois à Pic de la Mirandole, à l’architecte humaniste Leon Battista Alberti, à Laurent le Magnifique. Mais un nom a fini par s’imposer, sans pour autant désépaissir le mystère : celui de Francesco Colonna. En effet, les initiales ornées de chaque tête de chapitre forment un acrostiche en latin qui dit ceci : Poliam frater Franciscus Columna peramavit, « le frère Francesco Colonna aima passionnément Polia », qui est l’héroïne du roman. Poliphile, « celui qui aime Polia », ne serait donc qu’un pseudonyme de Francesco Colonna : mais celui-ci n’est-il pas un autre pseudonyme ? On a bien identifié deux individus de ce nom, vivant à cette époque : un architecte romain, seigneur de Palestrina, et un moine vénitien, dominicain à Venise et mourut en 1527, et qui sont peut-être la même personne. Cependant, la préface de l’ayant-droit, Lorenzo Grasso, qui introduit le livre, le déclare « orphelin » quand il est publié en 1499. Le mystère de l’auteur du Poliphile reste donc entier. Il est à l’image de tout le livre. Comme tous les écrits mystiques, sur lesquels les commentaires sont infinis, le Poliphile fonctionne de telle sorte que le secret qui entoure l’auteur lui confère une aura de sacralité. Francesco Colonna est de la famille de Homère, de Moïse, de saint Matthieu : figure mi-historique, mi-légendaire, il sert de prête nom pour une oeuvre collective, composée de fragments de textes, d’idées, d’images, de sources. Il faut moins concevoir Le songe de Poliphile comme le roman d’un auteur que comme une fable encyclopédique, un montage bien composé du savoir hétérogène du XVe siècle italien. Le roman donne ainsi à voir entre autres « pyramides, obélisques, grandes ruines d’édifices, (…) un grand cheval, un éléphant de merveilleuse grandeur, un colosse et une porte magnifique, (…) la diversité des pierres précieuses avec leurs vertus naturelles, le passetemps d’une danse et conséquemment, figure trois jardins dont l’un est de verre, l’autre de soie et le tiers fait en labyrinthe circui d’un péristyle (…), quatre triomphes du grand Jupiter (…) ». Cette énumération, située au début du livre en matière de résumé (et qui est bien plus longue), montre bien que la diversité des sujets traités dans le livre est déjà étonnante pour le lecteur de l’époque. A quoi il faut ajouter la variété des sources littéraires utilisées : sources classiques antiques (Platon, Pline l’Ancien, Vitruve, Ovide, Virgile etc.), médiévales (le Roman de la rose, Dante, Pétrarque) ou contemporaines (le De re aedificatoria d’Alberti, le Traité d’architecture d’Antonio Filarete) ; mais aussi sources plus ésotériques, comme L’âne d’or d’Apulée, traité romain de magie, ou le De hieroglyphica d’Horapollon, compilation tardive sur l’écriture divine des Egyptiens, qui venait d’être redécouverte. Poliphile rêve ainsi une Antiquité vivante et mystérieuse, peuplée de nymphes, de sylvains et d’édifices somptueux, où les dieux agissent vraiment et où on leur fait de véritables sacrifices, décrits par le menu comme dans un livre d’ethnographie antique. Polia, la nymphe aimée de Poliphile, qui lui fait traverser une série d’épreuves pour tester son amour, balance dans son coeur avec ces merveilles architecturales d’une Antiquité rêvée qu’il décrit avec l’enthousiasme d’un enfant au pays des merveilles. C’est que Polia n’est autre qu’une métaphore de l’Antiquité elle-même. L’Antiquité est désirable comme une femme : idée qu’on retrouvera dans la Gradiva de Jensen, qui est un autre rêve. Mais au lieu de porter l’accent sur le manque qui fait désirer, le Songe insiste sur la description de l’objet du désir – une description qui le justifie et le propage. Ce travail, de passage de l’écrit à l’image, est la clef du désir qui circule dans le Songe de Poliphile. Le texte est tout entier tourné vers l’image, car ce n’est qu’en devenant une image que l’Antiquité peut susciter le désir. Or l’Antiquité de Poliphile a tout pour exciter l’imagination de l’homme du XVIe siècle. Car le narrateur multiplie les images de l’Antiquité : longues descriptions des édifices et des monuments avec un langage d’architecte, comparaisons avec des édifices réels qui peuvent éveiller la mémoire du lecteur, utilisation de nombreuses gravures à l’intérieur du texte, qui le plus souvent montrent le monument décrit. C’est ainsi que l’auteur décrira longuement la citerne qui se trouve au centre du temple de Vénus Physizoé (« la vie de nature ») : à l’extérieur sont figurées en demi-bosse une danse de nymphes ; au sommet, une tête de Méduse à la bouche ouverte ; puis, dedans, d’étranges figurines que la gravure adjacente nous permet de nommer des grotesques (ill. ci-contre) : (…) quatre pucelles monstrueuses, les cheveux liées à l’entour du front. Et du nombril en bas, en lieu de cuisses, étaient départies en deux rameaux de feuillage de branque-ursine, tournées en rond devers leurs flancs où elles les empoignaient des deux mains. Leurs ailes de harpies étendues vers une chaînette attachée en leurs épaules, au lieu où les feuillages se rencontraient. Entre deux pucelles, était par-derrière attaché un crochet, les feuillages liés l’un à l’autre. Au-dessus du lien, sortaient aucuns épis demi-crûs, puis au-dessous, trois petites feuilles. Par ce moyen, il y avait quatre liens et quatre crochets, desquels pendaient quatre chaînes où tenait une lampe merveilleuse dont la platine avait une aune de rondeur, autour de laquelle étaient les pucelles déclinantes en feuillage. » Ainsi, avant même que les grotesques ne soient inventés dans les grottes de la Maison dorée, l’imagination de Poliphile – c’est-à-dire sa faculté à produire des images – les invente et les décrit, comme des objets trouvés et morcellés. Le visiteur de l’exposition de Buffe retrouvera cette « pucelle monstrueuse » (ill. p. 37), ce grotesque des origines, cette signature de l’art combinatoire. Un autre exemple de l’imagination anticipatrice de Poliphile excitera tous les esprits du XVIe siècle, et celui de Nicolas Buffe (entre autres) : son usage des hiéroglyphes. Poliphile ignorait le véritable langage de l’Egypte pharaonique; cependant il en avait compris le principe : former des phrases par des images. Prenons par exemple le décor hiéroglyphique que Poliphile voit sur le pont qui le conduira, au début du récit, au royaume d’Eleuthérilide (ill. ci-contre) : (…) un cabasset antique, crêté de la tête d’un chien, une tête de boeuf, sèche et dénuée, avec deux rameaux à menu feuillages attachés aux cornes de celle tête, puis une lampe faite à la mode antique. Lesquels hiéroglyphes j’interprétai en cette sorte, excepté les rameaux, car je ne savais s’ils étaient de pin, sapin, genévrier, cyprès, larice ou sabinier. Patientia est ornamentum, custodia et protectio vitae. C’est-à-dire, “Patience est l’ornement, garde et protection de la vie”. Il faut une certaine habitude de ce code symbolique (Poliphile lui-même à ce stade du récit ne le maîtrise pas complètement) pour comprendre que le bucrane signifie la patience, les rameaux l’ornement, le casque protection, le chien garde et la lampe la vie. L’autre hiéroglyphe est plus connu : (…) un cercle et un ancre, sur la stangue duquel s’était entortillé un dauphin et je les interprétai pareillement en cette manière : Semper festina tarde. C’est-àdire, “Toujours hâte-toi par loisir”. Où le cercle signifie « toujours », le dauphin « hâte-toi », l’ancre « à loisir » ou plutôt « lentement ». Plus connu sous la forme Festina lente, cette devise, attribuée à Auguste, et le motif du dauphin autour de l’ancre, seront commentés par Erasme et Rabelais, et servaient de marque d’imprimerie à Alde Manuce. Ainsi la fortune du livre et celle de son imprimeur se renforçaient mutuellement, à travers un motif oxymorique, un composé d’image et de texte. Poussant jusqu’au bout la logique du Songe de Poliphile, Nicolas Buffe en propose une interprétation entièrement graphique, en suivant le fil du récit. Comme si le visiteur de l’exposition se retrouvait à la place du narrateur lui-même, découvrant, en quatre étapes qui structurent le premier livre, les merveilles antiques qui décorent le récit. Grâce à son propre répertoire de motifs, Buffe transforme ainsi le chemin amoureux de Poliphile, semé d’embûches et d’épreuves, en « jeu de plateaux » comme La légende de Zélda, un ancien hit sur la console Nintendo. Certains de ses dessins reprennent explicitement les gravures de l’édition française de 1546 du Songe, en leur donnant un sens nouveau. Ainsi le Triomphe de Priape devient un triomphe de Bacchus (ill. p. 36), sous la figure du capitaine Haddock, élevé à la dignité de Dieu du vin. Cupidon sous son dais prend l’apparence du Petit Prince de Saint-Exupéry (ill. p. 34) ; quant à Léda, héroïne du second triomphe de Jupiter dans le livre, elle est transformée en Betty Boop (ill. pp. 2-3) ; les éléphants d’Hannibal qui traînent son char, dans la gravure originelle, prennent la forme plus moderne de Dumbo, l’éléphant volant de Walt Disney, précédé d’un loup de Tex Avery habillé en Don Quichotte. Jeu facile d’adaptation parodique d’une composition préexistante ? Dans ce cas, le graveur de l’édition française du XVIe siècle pouvait être accusé de la même facilité : non seulement ses gravures reprennent, en les ornementalisant, les gravures de l’édition italienne de 1499 ; il emprunte en outre certaines compositions ou figures connues, comme sa Léda, visiblement copiée sur le modèle de Michel-Ange. Buffe se situe ainsi, clairement, dans la lignée du maniérisme, un style où invention et imitation vont de pair, où l’éclectisme des références et la variété des figures prennent l’ascendant sur la nouveauté des structures. Il fait partie de la famille des Rosso, des Salviati, des Rabelais et des Montaigne, qui avaient tous en commun le goût du jeu, le talent de la citation, la virtuosité du pastiche et la croyance en l’artificialité de la vie. Mais Buffe ne se contente pas de faire dialoguer le maniérisme et le postmodernisme, le livre d’art de la Renaissance et le jeu vidéo. Les quatre parties de l’exposition, Aurore, Le choix, L’initiation et Cythère sont à la fois quatre moments et quatre lieux, quatre ambiances différentes qui transforment l’atelier construit par Zielenski et occupé autrefois par Hans Hartung, en parcours postmoderniste. Comme souvent, ses pièces sont faites sur mesure pour un espace, comme pour le décorer. Ce fut le cas pour l’immense Mikiki de l’exposition de la jeune création à la Bellevilloise en 2006 ou pour l’Arc de Gaillon dans la cour Napoléon de l’Ecole des beaux-arts de Paris, la même année (ill. p. 4), à l’emplacement même où le véritable arc de Gaillon était installé, au XIXe siècle. Le vase Chesharo (du nom du chat du Cheshire japonisé, c’est-à-dire transformé en figures inspirées du manga Mon voisin Totoro), qui figure à l’exposition (ill. pp. 14, 47), est un autre exemple : sur une structure donnée, un modèle canonique de vase fourni par les manufacturiers du Craft de Limoges, Buffe applique ses motifs et ses entrelacs sans rien modifier à la forme de départ (sauf le couvercle). Mais la puissance ornementale qui anime ses dessins les fait excéder leur fonction décorative : sans sortir de leur logement, ils le mettent moins en valeur que celui-ci ne se met à leur servir de cadre. Dans l’exposition, le noir et blanc des dessins de Buffe s’intègre parfaitement dans l’espace dénué de couleurs de l’architecte moderniste, mais y produisent un décalage humoristique. Les lignes orthogonales qui construisent l’atelier sont ainsi opposées aux volutes, rinceaux et autres entrelacs organiques qui peuplent les dessins de Buffe. Sans doute que l’auteur du Songe de Poliphile n’aurait pas désavoué l’hommage de Nicolas Buffe, lui qui de la dépense d’ornement faisait une exigence esthétique et morale : C’est le vrai art qui découvre et argue notre ignorance présomptueuse ou notre détestable présomption, laquelle est une erreur publique et dommageable. C’est la claire lumière qui nous ravit doucement à sa contemplation pour enluminer nos ténèbres, car aucun ne demeure aveugle les yeux ouverts, sinon ceux qui la fuient et refusent. C’est celle qui accuse la maudite avarice, détruisant toute vertu, voire qui va rongeant sans cesse le coeur de celui qu’elle possède et détient captif (…); même que, par le présent siècle, chacun la tient pour son idole, lui faisant honneurs et sacrifices : [ce] qui est chose indigne, mauvaise et grandement pernicieuse. Ô dangereuse et mortelle poison, tu rends misérable celui qui est atteint de toi. Combien d’oeuvres magnifiques sont par toi péries et supprimées.

Notes

1. Rappelons que, dans La pensée sauvage, Lévi-Strauss fait du bricolage une métaphore de la pensée « première », une pensée qui ne part pas du projet pour aboutir aux outils et aux matériaux, comme chez l’ingénieur, mais des instruments à disposition, qui peuvent servir au besoin dans de multiples occasions et pour remplir de multiples fonctions. Rappelons aussi qu’il faisait de l’artiste un mixte de bricoleur et de savant, qui produit des « modèles réduits » à travers lesquels il expérimente et il connaît les choses. 2. Nous nous servons de la réédition de cette traduction: Francesco Colonna, Le Songe de Poliphile, traduction de Jean Martin, édition critique de Gilles Polizzi, Paris, Imprimerie Nationale, 1994

Textes introductifs aux quatre parties de l’exposition Hypnerotomachies de Nicolas Buffe, galerie Schirman & de Beaucé, septembre octobre 2007

1. Aurore Tourmenté par son amour malheureux pour Polia, Poliphile s’endort et rêve d’une forêt obscure, inquiétante. Il passe un ruisseau et, poussé par un chant mystérieux, arrive à un grand chêne où le sommeil et le rêve le prennent de nouveau. Un loup famélique le pousse à s’enfuir à travers les collines. Il finit par découvrir les premiers édifices merveilleux de ce pays inconnu : une pyramide surmontée d’un obélisque, sur laquelle repose une figure pivotante de la Fortune ; un cheval ailé auquel des enfants s’agrippent maladroitement, symbole de l’Infélicité, dédiée au Temps qui passe ; un autre obélisque sur un éléphant noir. Il pénètre par la porte de la pyramide, ornée d’une tête de Méduse ; à l’intérieur, un dragon l’attend et l’effraie à tel point qu’il court sans réfléchir dans des grottes sombres et labyrinthiques. Alors qu’il se croit perdu, il voit une faible lueur : c’est la sortie.

2. Le choix Aux yeux ébahis de Poliphile s’offre un nouveau paysage, une campagne luxuriante, parsemée de ruines et de monuments antiques. Il découvre bientôt que c’est le royaume de la reine Eleuthérilide (Libre Arbitre). Cinq nymphes (les cinq sens) viennent à sa rencontre, l’emmènent à une fontaine merveilleuse, puis le conduisent au somptueux palais de la reine, décoré des sept planètes, qui lui offre un banquet incroyable. Il lui raconte alors son amour malheureux pour Polia. La reine l’incite à se rendre auprès de sa soeur Télosie (Cause Finale) qui lui révèlera quelle fin est réservée à son amour. Mais pour arriver au royaume de Télosie, dont l’aspect est incertain, Poliphile devra effectuer un choix crucial, entre trois modes d’accès. Trois portes s’offrent en effet à sa vue : la Gloire de Dieu, la Mère de l’Amour et la Gloire du Monde. Poliphile, effrayé par l’aperçu rébarbatif de ce qui l’attend derrière les deux portes latérales, choisit la porte de Vénus ; s’ouvre à lui un paysage charmant. Il est aimablement accueilli par six nymphes au comportement lascif, qui disparaissent aussitôt.

3. L’initiation Bientôt survient une nymphe, plus belle que toutes les autres, portant une torche allumée, qui lui semble une Polia céleste. Celle-ci lui sert de guide à travers le royaume de Vénus ; passant sous une treille de verdure, ils voient venir à leur rencontre une procession triomphale qui représente l’amour de Jupiter pour Europe. Sur le char, un relief montre Mars demandant à Jupiter qui échappe à Cupidon ; pour seule réponse celui-ci tient un panneau sur lequel est inscrit nemo, « personne ». Suivent les triomphes de Jupiter avec Léda, Danaé et Sémélé. Puis Polia montre à son ami les exploits de Cupidon, les amours célèbres de l’Antiquité. Un triomphe de Vertumne et Pomone les introduit au culte priapique, après quoi ils pénètrent dans le temple de Vénus Physizoé, où ils participent à un sacrifice en l’honneur de la déesse de l’amour, en demandant ses grâces. Polia se révèle enfin à Poliphile en éteignant sa torche, signe qu’elle accepte son amour. Une dernière épreuve attend Poliphile : la visite du Poliandron, le temple où les amants malheureux sont enterrés. Edifié, le jeune homme et sa compagne sont prêts à partir pour l’île de Vénus.

4. Cythère Menés par Cupidon et accompagnés de nymphes marines, Polia et Poliphile arrivent à Cythère. Liés aux mains, les amants suivent le cortège de l’Amour aveugle jusqu’à la fontaine de Vénus. Cupidon leur offre une flèche d’or, avec laquelle Poliphile déchire le voile qui cachait Vénus. La déesse apparaît et les unit mystiquement en les transperçant de la flèche dorée. Chassés par le dieu Mars, ils sont menés par les nymphes auprès de la fontaine d’Adonis, où on les incite à raconter l’histoire de leur amour. Polia prend la parole : issue d’une insigne famille de Trévise, elle raconte que pour échapper à la peste, elle s’est vouée au service de Diane la vierge. En conséquence elle refusait toutes les avances de Poliphile, jusqu’à ce que des visions terribles l’avertissent du sort funeste des femmes insensibles à l’amour. Convertie, elle réveille Poliphile qui était tombé dans un coma d’amour par un baiser puis se rend avec lui au temple de Vénus. Poliphile raconte alors que pendant sa « mort », son âme a été introduite auprès de Vénus, qu’il a imploré de le seconder dans son amour ; Cupidon a alors percé l’image de Polia d’une flèche et, au réveil, celle-ci l’aimait effectivement. Mais alors que tout semblait se conclure heureusement, Poliphile se réveille et se rend compte que tout cela n’était qu’un rêve.

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